Lettre ouverte à Carole Delga
Madame la Présidente de Région,
Les habitants du Lauragais et du sud du Tarn sont inquiets. Ils se mobilisent à l’annonce du projet d’installation en 2024 de deux usines à bitume, l’une à Puylaurens et l’autre à Villeneuve-lès-Lavaur. Ces deux centrales mobiles doivent produire 500 000 tonnes d’enrobé de bitume en 12 à 18 mois pour répondre aux besoins du chantier de l’autoroute A69.
Nous n’avons appris la nouvelle que très récemment, les promoteurs de ce projet s’étant bien gardé d’en avertir clairement la population, contrairement à leurs affirmations. Pour trouver cette information il fallait parcourir les 8875 pages de l’enquête environnementale. Un document dont les commissaires enquêteurs indépendants ont jugé la “compréhension difficile” ajoutant qu’il “ne recherchait aucune pédagogie à l’attention d’un public non spécialiste"¹. Une fois passée la sidération c’est aujourd’hui une véritable mobilisation citoyenne qui se soulève.
Deux sujets nous préoccupent au plus haut point: la santé des enfants et des personnes fragiles, et l’alimentation².
Près de 4300 enfants sont scolarisés à moins de 10 km de ces usines. 3 écoles maternelles, 30 écoles élémentaires et 3 collèges:
- 1198 élèves à moins de 5 kilomètres
- 160 élèves à moins de 2 kilomètres
- 99 enfants à moins d’ 1,1 kilomètre
Les enfants sont particulièrement vulnérables aux COV (Composés Organiques Volatiles) rejetés dans les fumées de ces usines. Vous le savez parfaitement, et vous avez courageusement pris position à Gragnague en invitant le Président d’Eurovia à étudier de nouvelles options quant à la localisation de la centrale qui était à 1 km du lycée Simone de Beauvoir.
C’était il y a 6 mois à peine.
Si ces usines s’installent nous serons exactement dans la même situation, avec des enfants encore plus jeunes. L’école de Saint-Germain-des-Prés se situe à peine à 1,1 km de la centrale prévue à Puylaurens.
Nous ne pouvons pas croire que les enfants de Gragnague compteraient plus à vos yeux que ceux de Saint-Germain-des-Prés, Vendine, Loubens-Lauragais, Soual, Sémalens, Lempaut, Lescout, Puéchoursi, Le Faget ou Francarville. En tant que parents, grands-parents, habitants de ce territoire nous ne pouvons rester inactifs. Nous ne pouvons pas nous contenter de croiser les doigts en espérant qu’il n’y ait jamais d’incidents avec ces usines, que les normes soient toujours rigoureusement respectées, que les vents chassent au loin les fumées nauséabondes, qu’aucun élève fragile ne voit ses symptômes respiratoires aggravés. Les témoignages des parents à proximité de centrales similaires sont trop inquiétants pour que nous restions confiants.
Lors de notre rencontre avec la société NGE-ATOSCA, nous avons été attentifs aux discours rassurants de Monsieur Stoufs, Directeur des travaux et de Monsieur Gerlinger, Directeur d’Atosca. Ils nous ont indiqué que ces usines ne rejetaient quasiment que de la vapeur d’eau et qu’au besoin des huiles essentielles seraient ajoutées aux rejets pour limiter les mauvaises odeurs, ce qui vous en conviendrez n’a rien de rassurant et ne parait pas sérieux du tout. La présentation de NGE-Atosca s’emploie uniquement à minimiser les risques, à préjuger de l’innocuité des fumées contre tous les avis des scientifiques, et ne fait état d’aucun système de contrôle convaincant. La réglementation se limitant à obliger la société responsable de ces usines à réaliser ellemême des autocontrôles une fois par an, les conditions pour rassurer la population ne sont pas du tout réunies.
Madame la Présidente, nous vous demandons d’intervenir.
En finançant le projet de l’autoroute A69 à hauteur de 6 millions d’euros, la Région finance directement ces centrales à bitume mettant en danger nos enfants et tous les habitants de ce territoire, qui payent déjà un très lourd tribut pour l’aménagement de cette autoroute.
Notre colère monte et s’étend car il y a là une injustice immense. Nous subissons les contraintes de ce chantier, notre territoire va en être complètement bouleversé, et en plus, la santé de nos enfants est menacée. Entre Puylaurens et Vendine, chaque jour de nouveaux collectifs s’organisent, indépendamment de notre collectif Lauragais Sans Bitume, pour informer la population sur ce qui l’attend. La population a le droit de savoir.
Autre sujet d’inquiétude, l’agriculture.
Ce sont plus de 200 exploitations agricoles qui sont menacées, se trouvant à moins de 5 km des centrales.
Les COV rejetés dans les fumées de ces centrales sont particulièrement toxiques et non dégradables dans l’eau ou le sol. Ce sont donc les productions alimentaires mais également les terres qui sont menacées par ces polluants³.
Vous menez une politique volontariste de soutien aux productions locales et à l’agriculture biologique grâce à des aides importantes pour l’installation. De nombreuses exploitations sur ce territoire bénéficient de ces aides, or aujourd’hui ces producteurs engagés dans la transition écologique ne comprennent pas que leurs productions et leur exploitation puissent être mises en danger par ces usines installées à quelques centaines de mètres de leurs terres. Que vont devenir leurs produits? Seront-ils comestibles? Les labellisations bio pourront-elles être maintenues? Choisiriez-vous pour alimenter les cantines de nos enfants, des produits biologiques ayant poussé à 300 mètres d’une centrale à bitume ?
Le métier de ces producteurs est de nourrir la population, pas de l’empoisonner. Or rien n’est prévu pour eux. Là aussi la colère et le sentiment d’injustice grandissent.
Madame la Présidente, ce projet de centrales à bitume est à l’opposé de tous vos engagements. le territoire entre Castres et Toulouse n’est pas un désert mais un territoire bien vivant, habité par des citoyens et des citoyennes qui ont besoin d’échanger avec vous sur ces sujets qui préoccupent la population et qui sont source d’une grande angoisse. Nous vous demandons donc solennellement de venir nous rencontrer pour parler de ces sujets de manière apaisée, responsable et constructive.
Nous sommes en mesure de vous procurer une information fiable et des solutions. Il est encore temps d’éviter un scandale sanitaire en Occitanie.
Vous vous êtes clairement et courageusement positionnée en faveur de l’intérêt général des habitants à Gragnague. Nos enfants, nos aînés, tous les habitants du Lauragais et du sud du Tarn n’en attendent pas moins de votre part.
Dans l’attente de votre réponse,
Veuillez recevoir Madame la Présidente, nos salutations respectueuses.
Le collectif Lauragais Sans Bitume
1 Rapport définitif de la commission d’enquête portant sur l’autorisation environnementale préalable à la réalisation de la liaison Castres-Toulouse, p.141
2 Imprégnation de la population française par les hydrocarbures aromatiques polycycliques. Programme national de bio surveillance, Esteban 2014-2016
3 La contamination des sols par les hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), 2019
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